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Défaillances en cascade et propagation d’effondrement par contagion

Les sociétés modernes sont caractérisés par un très haut niveau d’interconnexions globales entre de nombreux secteurs d’activité économique. Ces interconnexions généralisées sont porteuses de risques d’instabilité intrinsèques, dits systémiques.

 

Causes

 

Les interconnexions mentionnées sont assez complexes. Le World Economic Forum produit annuellement un document d’évaluation de perception de ces risques basés sur des dires d’experts ; ces interconnexions sont représentées graphiquement sur la Fig. 1, tels qu’ils ont été décrits pour l’année 2011.

 

Figure 1 - Interconnexions des risques systémiques globaux selon le rapport 2011 du Forum Économique Mondial (reproduit dans Helbing 2013)

 

Cinq grandes catégories de risques peuvent être identifiées : économiques, géopolitiques, environnementaux, sociaux et technologiques. Dans le secteur économique, les principaux risques sont liés aux instabilités de marché, notamment de l’énergie, ainsi que financiers. Les risques géopolitiques portent largement sur les sources potentielles de conflit. Sur le front environnemental, le changement climatique, la perte de biodiversité et leurs conséquences apparaissent dominants. Sur le plan sociétal, les questions d’inégalités, de sécurité alimentaire, d’accès à l’eau et de santé, sont proéminentes. Quant aux risques technologiques, ils portent sur les fragilités des systèmes de communication informatisés modernes et des infrastructures (par exemple réseaux de distribution électrique). Une grande partie de ces risques est directement liée aux changements globaux, dont l’ampleur, le rythme et l’accélération sont sans précédent depuis les cinquante dernières années (Steffen et al., 2015). Sans surprise donc, une partie importante des interconnexions entre ces risques reflète les liens existants entre les différents secteurs de changements globaux planétaires.

 

Dans ce schéma, trois “nexus” sont identifiés. Le nexus water-food-energy est particulièrement important puisqu’il est le plus transversal, reliant les risques sociaux, économiques et environnementaux comptant parmi les plus importants. De fait, il existe un risque de disruption de nos structures d’approvisionnement en énergie et matières premières, notamment d’origine agricole, qui tient à la grande interconnexion des différents secteurs de notre société globalisée, au grand nombre de verrouillages sociotechniques et institutionnels et à leurs interactions, ainsi qu’aux fragilités des systèmes agricoles productivistes face au changement climatique, notamment à des événements extrêmes.

 

Conséquences

 

Dans un tel contexte, les risques systémiques liés à la propagation de chocs divers à travers les différents secteurs d’activité sont donc réels et largement sous-estimés. Le terme “contagion systémique” utilisé pour désigner ce type de processus fait référence à la propagation d’un choc à l’ensemble de nos économies interconnectées et dont l’origine se situerait dans un secteur spécifique. Si des crises de ce type deviennent suffisamment nombreuses et/ou importantes, un risque d’effondrement peut en résulter à terme, si chacune d’elles produit une incapacité du système à retrouver un état similaire à son état antérieur.

 

On peut s’attendre à ce que chacune de ces crises se produise sur des échelles de temps assez courtes (quelques semaines à quelques mois), mais leur condition de déclenchement est a priori aléatoire. Cette caractéristique différencie ce type de processus des mécanismes de disruption global à la Limits to Growth qui ont resurgi dans le débat public comme dans le milieu académique depuis quelques années, liés par exemple aux pressions sur les ressources ou sur l’environnement, et qui eux relèvent de dynamiques tendancielles de beaucoup plus long terme (quelques décennies).

 

Les facteurs déclenchant possibles sont de divers ordres. L’un des plus fréquemment évoqués est une nouvelle crise financière, qui, compte-tenu de la fragilité accrue des Etats et du système bancaire et financier global, serait très vraisemblablement beaucoup plus difficile à maîtriser que la précédente, d’autant plus que les effets récessifs de cette dernière ne sont toujours pas complètement effacés ; un autre facteur potentiel, moins fréquemment évoqué mais lui aussi de probabilité non négligeable, serait un blackout généralisé du système de distribution de l’électricité à une échelle plus grande (par exemple, toute l’Europe au lieu d’une partie d’un Etat membre) et sur une durée plus longue (plusieurs jours et non plus quelques heures) que les épisodes antérieurs du même type.

 

Réciproquement, il convient de ne pas sous-estimer non plus certaines caractéristiques de résilience des chaînes d’approvisionnement existantes dans le cadre de ce genre d’analyse. Pour citer un autre exemple, peut-être plus parlant, il est bien connu dans la littérature spécialisée que la stratégie moderne de logistique à flux tendu à l’échelle planétaire est susceptible d’instabilités potentiellement disruptives et véhicule donc un risque systémique intrinsèque important, notamment dans le contexte actuel de tension croissante sur les ressources (Goldin and Mariathasan, 2014).

 

Problématique pour une modélisation

 

La littérature consacrée aux risques systémiques est importante (voir par exemple Helbing 2013 et Centeno et al. 2015), mais pour l’instant les tentatives de modélisation spécifiques de ces risques et des enjeux de disruption associés sont assez limitées, et souvent sectorielles.

 

On peut donc affirmer que dans l’état actuel des connaissances, ces risques restent mal connus. Toutefois, et en laissant de côté les aspects strictement (géo)politiques de la question, ils se prêtent relativement bien à un exercice de modélisation, dont l’objectif premier n’est pas d’obtenir des évaluations quantitatives précises, mais de dessiner une compréhension qualitative et semi-quantitative plus fine des enjeux, les modélisation existantes étant soit trop sectorielles, soit trop génériques. Se limiter aux interconnexions entre énergie, sécurité alimentaire, logistique et finance constitue un objectif ambitieux mais réaliste pour aborder ce genre de problématique.
Plus précisément, le travail envisagé sur ce front porte sur l’élaboration d’un modèle de dynamique des systèmes de ce type de risque systémique. L’objectif est multiple :

 

 

Le focus sur les chaînes d’approvisionnement en énergie et matières premières agro-alimentaires tient au rôle central (et sous-estimé dans le second cas) qu’elles jouent dans nos sociétés occidentales. Ce travail est réalisé en plusieurs étapes : analyses sectorielles en collaboration avec différents experts, modélisation et tests par blocs sectoriels avant intégration dans un modèle d’ensemble, calibration (sur données publiques pour ce projet) et étude de scénarios.

 

Références