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Conception et évaluation de systèmes sociotechniques soutenables sur la base d’une comptabilité physique

Contexte socio-scientifique

Devant la nécessité de réduire l’empreinte environnementale de nos sociétés, plusieurs stratégies non exclusives peuvent être envisagées. Le spectre s’étend d’actions individuelles (consommations plus vertueuses) à l’intervention de l’état en passant par la responsabilisation des entreprises. Un récent rapport du cabinet Carbone 4 met en évidence que les actions
individuelles sont indispensables mais très insuffisantes pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre [7]. Cela s’explique par le fait que ”chaque individu est limité par le système socio-technique, c’est-à-dire l’environnement social et technologique dont il dépend”.
L’essentiel des approches de modélisation et de prospective se sont pour l’instant focalisées sur des secteurs particuliers, permettant un bon niveau de description. C’est par exemple le cas, au niveau national, de plusieurs scénarios de transition énergétique (scénario négaWatt, scénario Ademe) et du système agro-alimentaire (scénarios Afterres et [2]). Une lacune de ces approches est de ne pas intégrer les relations d’interdépendance entre tous les secteurs de l’économie. En particulier, à partir de l’étude des rétroactions entre énergie et matières premières, [11] montre que certains scénarios de transition ayant vocation à limiter le réchauffement climatique à 2 ◦ C, ne peuvent en réalité pas atteindre leurs objectifs.
C’est en partant de ce constat que cette thèse propose d’étudier les modalités de description, de construction et d’évaluation d’alternatives socio-techniques, cohérentes avec leurs objectifs, en se basant sur ses travaux antérieurs des équipes d’accueil dans le domaine de l’évaluation environnementale et de la recherche opérationnelle. Elle part de l’hypothèse qu’une comptabilité physique est plus apte qu’une comptabilité monétaire à prendre en compte les limites planétaires et à guider les choix de transition des sociétés.

Programme de travail et résultats attendus

Les outils développés durant cette thèse s’intégreront dans un projet plus global : notre objectif à long terme est la mise en place d’une plateforme participative permettant à des parties prenantes d’un territoire donné (une ville, une communauté de communes, etc.) de mener des réflexions prospectives sur l’évolution de leur territoire, à l’aune des énormes défis environnementaux et de disponibilité de ressources qui s’annoncent. Dans ce contexte, la thèse s’articulera autour de trois axes :

  1. Diagnostic quantitatif intersectoriel de l’économie réelle (analyse input-output (IO) en flux physiques) et identification de composants modulaires (typiquement, un mode de production d’un secteur particulier avec ses entrées et sorties). Cela peut être vu comme un inventaire de l’existant et jettera les bases de la réflexion.
  2. Développement d’une méthodologie et d’un outil permettant de créer des alternatives socio-techniques cohérentes pour le territoire, à partir des composants précédents – ces alternatives concernent les modes de production (énergie, alimentation etc.) mais également la définition des besoins à satisfaire (régime alimentaire, chauffage, etc.).
  3. Évaluation multicritère de ces alternatives.

Plusieurs enjeux scientifiques et techniques sont identifiés, comme suit. Actuellement, les études de filières économiques réalisées par l’équipe STEEP utilisent de l’optimisation sous contraintes pour réconcilier les données (passer de données collectées lacunaires et incohérentes entre elles à des données respectant des contraintes, en particulier les lois de conservation [5], tout en gérant et propageant correctement les incertitudes). Pour des problèmes de grande taille, comme ceux abordés dans cette thèse, des conflits entre contraintes se posent inévitablement en pratique et une partie du travail sera logiquement tournée vers l’identification et la résolution semi-automatique de ces conflits [4]. Ce travail est fondamental pour les axes 1 et 2.
Un second enjeu est de concevoir un outil multi-niveaux géographiques et sectoriels permettant à l’utilisateur de travailler une résolution pertinente pour lui (par exemple ensemble des cultures végétales plutôt que détail blé/maı̈s/soja. . .). Un troisième enjeu concerne l’évaluation des systèmes socio-techniques proposés : Quels ”surplus” permettent-ils de dégager au-delà des besoins de base des population (la question de la définition de ces derniers faisant l’objet d’autres travaux, mais à
titre d’exemple, citons l’alimentation, l’habitat, la mobilité, etc.) ? Dans quelle mesure ces systèmes s’inscrivent-ils dans les limites environnementales locales et globales (pollutions, climat, ressources
en eau/énergie/bois/. . ., etc.) ? Quels compromis entre critères mettent-ils en évidence (par exemple entre la résilience d’un territoire, l’équité entre différents territoires et les différentes formes de soutenabilité) ? Ces questions complexes seront abordées en fonction de l’avancement de la thèse et du temps disponible, et sont par ailleurs au cœur de recherches menées en parallèle au sein de l’équipe STEEP. Il s’agirait donc davantage d’articuler l’outil développé dans cette thèse avec ces autres connaissances.
Concernant l’état de l’art, nous mobiliserons des formalismes et outils bien connus dans le domaine de l’évaluation environnementale (l’enjeu étant de les coupler de façon optimale) : des tableaux emplois/ressources en unités physiques (énergie et matière) pouvant être couplés avec des analyses input-output étendues à l’environnement [9, 10], des analyses de chaînes de Markov [6], des analyses de flux de matières [3] et des analyses de cycle de vie (ACV) permettant de compléter certaines
informations manquantes. D’autres approches (par ex. Nexus studies [1], MuSIASEM [8]) seront également étudiées au cours d’une phase de revue de littérature.

Encadrants et collaborations

Le doctorant sera encadré par un chercheur de l’Inria/LJK et un du G-SCOP, chacun ayant son expertise du sujet, ainsi qu’une palette de compétences et de partenaires accessibles dans son environnement de recherche.
— Peter Sturm (LJK, Inria) a travaillé ces dernières années principalement sur la modélisation intégrée des usages de sols (production économique ou autres – habitat, loisirs, éducation etc.)
et de l’infrastructure de transport d’un territoire. Les objectifs à long terme décrits au début du programme de travail, constituent son programme de recherche pour les années à venir.
— Vincent Jost (G-SCOP) est spécialisé en recherche opérationelle (RO). Les équations de conservations à la base de l’approche proposée dans ce projet et les problématique de réconciliation
de données sont en adéquation avec la méthodologie de la RO (programmation mathématique et programmation par contraintes). Afin de mieux appréhender la cohérence et la résilience à nos organisations, et afin d’articuler des questions habituellement traitées séparément, Vincent plaide pour une approche modulaire et multi-échelle en recherche opérationnelle.
Au delà de ce co-encadrement, le doctorant bénéficiera de collaborations riches avec d’autres membres de l’équipe STEEP sur ce projet et de G-SCOP sur des des projets utilisant les outils de la RO et/ou traitant d’économie circulaire, ainsi que d’une ouverture sur les travaux d’autres
organismes, académiques ou non (nous avons des contacts étroits avec l’Institut d’Economie Ecologique de Vienne, Autriche, le CIRED, l’Ademe, les associations négaWatt et Solagro, ainsi qu’avec différentes autorités territoriales, par exemple Grenoble–Alpes–Métropole, Agence d’Urbanisme de la Région Grenobloise, Région Auvergne Rhône-Alpes, etc.).

Références