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Une modélisation intégrée/globale du monde comme World3 peut-elle suffire à convaincre le public de la nécessité de changer les buts à poursuivre par les sociétés humaines ? Quels autres facteurs doivent être pris en compte ?

Christophe Bouillaud

Pour pouvoir répondre à cette question, rappelons que, depuis les Lumières, les régimes politiques occidentaux tendent, en particulier lors de leur établissement, à se fixer des buts terrestres allant au-delà du simple respect d’une tradition ou des volontés divines. C’est par exemple le cas avec la « poursuite du bonheur » mentionnée par la Déclaration d’indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776, ou avec la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Tirant les leçons de la crise économique des années 1930 et de la Seconde guerre mondiale, l’ordre international d’après 1945 a ainsi été construit sur une prémisse universellement partagée : la prospérité matérielle représente un but légitime à poursuivre par tous les États pour assurer la satisfaction de leurs populations, la pauvreté et la misère doivent ainsi être éradiquées, et l’ordre international économique (Fonds Monétaire international, Banque mondiale, GATT1, Organisation Internationale du Travail, etc.) doit favoriser cette recherche de l’enrichissement général. L’objectif des États devient alors la croissance économique, mesurée par le P.I.B. (Produit intérieur brut) par habitant. Au-delà de leurs divergences idéologiques et de leur compétition stratégique sur le plan des armements, l’Est communiste et l’Ouest capitaliste vont ainsi rivaliser dans leur capacité à augmenter le niveau de vie. Les pays dits alors en « voie de développement », le plus souvent d’anciennes colonies européennes, se donnent le même objectif. C’est avec ce consensus d’après 1945, qui fait de la croissance de la production et de la consommation, l’alpha et l’oméga de toute politique étatique soucieuse du bien public que rompt le Club de Rome, en proposant une autre manière d’envisager les buts de cette dernière.

Pour comprendre la réorientation proposée et son ampleur, il nous faut rappeler ici les conclusions du Rapport de 1972 fondées sur la modélisation intégrée/globale du monde à travers World3: d’une part, le nombre des êtres humains sur la planète ne peut pas augmenter continûment ; d’autre part, la consommation matérielle par habitant ne peut pas croître infiniment. Bien sûr, les deux aspects sont liés par une simple multiplication pour définir l’impact matériel de l’humanité sur les ressources naturelles et l’environnement. Le Rapport de 1972 n’étudiait pas les inégalités de consommation entre individus ou pays, considérant le monde comme un tout, mais son message était d’affirmer que l’aisance matérielle atteinte par les pays développés d’alors, et encore plus par les personnes les plus riches en leur sein, était suffisante et qu’il ne fallait plus viser à l’améliorer. Seuls les pays et populations pauvres pouvaient encore aspirer à bon droit à une amélioration de leur sort. Comme le rappellent les auteurs du Rapport originel, ou de ses mises à jour, dans le volume publié pour son cinquantenaire (Bardi & Alvarez Perreira, 2022), ou ceux du prolongement contemporain du Rapport, intitulé Earth for All ( Dixson-Declève & alii, 2022), ce sont bien sûr les limites matérielles de la croissance sur lesquelles ils entendent attirer l’attention, et non pas sur l’impossibilité d’un développement ultérieur des sociétés humaines, et plus généralement de la civilisation en tant qu’ensemble des réalisations partagées de l’espèce humaine. L’impasse d’un développement des sociétés humaines fondé sur la croissance ne peut pas non plus être dépassée, selon eux, par des Deus ex machina technologiques qui feraient sauter par miracle ces limites. Cela débouche alors sur l’idée d’un autre ensemble d’objectifs pour l’action publique, qui feraient coïncider le bien-être d’une population humaine nombreuse et les limites matérielles de la planète (pour un exemple récent, cf. Vogel & alii, 2021). Cet ensemble comporte le plus souvent les éléments suivants :

Le rapport du Groupe 3 du GIEC sur l’atténuation du changement climatique publié en 2022 (IPPC, 2022) va dans cette direction. L’adoption de ces objectifs par les États, auquel on associe actuellement le mot-clé de « sobriété », se heurte cependant à trois obstacles majeurs.

Le premier, le plus intraitable, et sans doute le moins commenté, est qu’il existe des liens très forts entre les ressources matérielles et énergétiques dont dispose directement ou indirectement un État, ses capacités industrielles et technologiques, son P.I.B. et sa puissance militaire. À moins d’imaginer un désarmement général des États et une paix mondiale définitive au cours du XXIème siècle, les États les plus importants, qui garantissent leur propre sécurité et celle de leurs alliés ou clients au niveau régional ou mondial, auront toujours besoin d’armements. Or cela suppose à la fois toujours plus de matières premières et d’énergie et de rester à la pointe de toutes les technologies pertinentes pour vaincre dans tous les conflits prévisibles. Tous les modèles alternatifs ne mettant pas l’accent sur la hausse de la production matérielle se heurteront donc à cette réalité stratégique : la puissance étatique demande toujours plus de ressources matérielles et énergétiques et d’innovations technologiques. On constatera d’ailleurs que ces dernières années les dépenses militaires croissent beaucoup dans le monde en lien avec l’industrialisation de certains pays (Chine, Inde, Indonésie, etc.) ou avec les bénéfices que d’autres tirent d’une rente pétrolière, gazière ou minérale (Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis, Russie, etc.), que des pays émergents bâtissent une industrie de défense (comme la Turquie avec ses drones). L’invasion russe de l’Ukraine du 24 février 2022 a rappelé l’importance de la puissance fondée sur les matières premières, l’énergie et l’industrie de pointe. Les deux belligérants s’avèrent de fait fortement dépendants des capacités industrielles et logistiques qu’ils peuvent mobiliser à l’appui de leurs revendications territoriales. Elle a aussi montré que l’Ukraine, en renonçant à l’arme nucléaire lors de son indépendance en 1991, s’est trouvée vulnérable face à une Fédération de Russie restée dotée de cet armement. La leçon risque fort d’être retenue par tous les États en capacité de se doter d’un tel armement.

Le public éclairé, celui qui n’est acquis aux vertus du nationalisme belliqueux, peut bien être convaincu que cette course perpétuelle à la puissance est délétère à tous points de vue. Il reste que l’humanité reste organisée en États et que chacun d’eux craint pour sa sécurité. Force est alors de constater que les seules périodes du siècle dernier où les dépenses militaires ont diminué sont celles qui correspondent à la domination d’un camp récemment vainqueur dans un conflit mondial (années 1920 après la victoire des Alliés dans la Première Guerre Mondiale ; années 1990 après la victoire des Occidentaux dans la Guerre Froide). Les années récentes correspondent plutôt à celle d’un réarmement général dans la perspective d’un conflit majeur.

L’exemple soviétique des années 1970, ou celui nord-coréen actuel, montrent par ailleurs qu’il est difficile d’articuler un fort secteur militaro-industriel avec une consommation faible, voire déficiente, de la population. Cela induit un mécontentement populaire qui suppose d’entretenir un puissant appareil répressif et peut impliquer à terme la chute du régime.

Le second problème est plus classique : faire croître certains secteurs de l’économie à faible empreinte matérielle et en faire décroître d’autres à forte empreinte matérielle. Cela serait là une nouvelle transformation structurelle de l’activité économique (après celle ayant fait passer la main d’œuvre de l’agriculture à l’industrie, puis aux services) qui privilégierait toutes les activités, marchandes ou non-marchandes, créant du « bien-être » sans demander un surcroît de matières premières ou d’énergie. Par exemple, cela supposerait de ne pas privilégier les loisirs consommant beaucoup d’énergie ou de matières premières, or ce sont justement eux qui se développent le plus ces dernières années : jeux vidéo, streaming, e-sport, etc. Les idées abondent sur ce point (permaculture, réduction du temps de travail, développement de l’éducation tout au long de la vie, du « care », de la meilleure prise en charge de la santé mentale, etc.). Le principal obstacle devient alors d’ordre financier à l’intérieur de chaque État. En effet, ces activités créatrices de « bien-être » bénéficient très souvent à des personnes incapables d’en financer elles-mêmes le coût (personnes âgées dépendantes, handicapés, malades mentaux, jeunes enfants, élèves, étudiants, etc.). C’est donc à la puissance publique de financer par l’impôt la création de services à destination de ces personnes. Or, depuis les années 1970, les pays développés sont bloqués dans l’aporie suivante : il existe bel et bien de très nombreux besoins sociaux qui nécessiteraient un financement public pour être satisfaits, mais une « révolte fiscale » des contribuables les plus aisés a convaincu tous les gouvernants de chercher à réduire la taille de l’intervention publique. Du coup, on observe dans de nombreux pays une privatisation de la dépense, comme dans le cas de l’accès à l’enseignement supérieur (par exemple aux États-Unis ou au Royaume-Uni), ou un sous-financement chronique, comme pour la psychiatrie ou la prise en charge des jeunes handicapés (par exemple en France).

Par ailleurs, si l’on imagine une population plus sereine, moins stressée par de trop longues heures de travail, bénéficiant de services publics de toute nature, il y a fort à parier qu’elle serait plus attentive à la vie publique, plus exigeante vis-à-vis de ses gouvernants, et qu’elle ne cesserait de mettre en avant de nouveaux besoins sociaux non-satisfaits. Cette perspective, identifiée par le Rapport de la Trilatérale sur la « crise de la démocratie » (Crozier, Huntington, Watanuki, 1975), peut effrayer les gouvernants qui seraient tentés par ce modèle (Chamayou, 2018). Il resterait encore à inventer une modération dans la satisfaction des besoins non-matériels. Est-ce alors un hasard si seul le Bhoutan, officiellement bouddhiste, s’est risqué depuis dans cette voie ?

Le troisième point est plus évident pour beaucoup de ceux qui ont réfléchi à l’absence de transition vers la « sobriété » : le matérialisme de nos élites. En effet, ce n’est pas tant le public qu’il faut convaincre que les élites qui le guident. L’adoption de ces nouveaux objectifs pour l’action publique supposerait en effet que les élites de tous les pays, quel qu’en soit leur P.I.B., redéfinissent leurs propres objectifs, pour elles-mêmes d’abord. L’avantage de la croissance comme objectif de l’action publique est qu’elle promettait aussi aux élites qui le mettaient en œuvre un enrichissement sans limite pour elles-mêmes. Le choix du bien-être comme objectif de l’action publique n’offre sans doute pas un tel alignement des planètes. Comment sans surcroît de richesses à disposition des élites marquer la continuité de leur supériorité sur le reste de la population ? Est-ce que le bien-être comme objectif de l’action publique n’a pas le défaut de pouvoir être bien trop facilement réparti entre tous ? Quelles consommations ostentatoires resterait-il à faire valoir aux élites pour se distinguer du vulgaire dans une société « sobre » ? Autant de questions qu’aucune société moderne ne saurait résoudre facilement, ni en théorie, ni en pratique. Or, au regard de toutes les statistiques qui lient le niveau de revenu d’un individu et l’empreinte matérielle de la consommation de cet individu, plus un individu fait partie de l’élite de son pays, plus il consomme de ressources, plus il pollue. Comme l’actualité ne cesse d’en donner des exemples, comme avec les voyages spatiaux de quelques milliardaires, ou la compétition entre eux pour disposer du yacht de plaisance le plus luxueux, les personnes les plus riches de la planète sont vraiment très loin d’avoir adopté une réorientation de leur mode de vie vers la « sobriété ».

Ces pratiques des milliardaires seraient sans grande importance si elles ne donnaient pas elles-mêmes le ton aux aspirations des millionnaires et de toutes les classes moyennes dans le monde. Pour l’instant, la possession et l’usage de biens ou de services dont le coût de production et d’usage en matières premières ou en énergie dépasse de très loin la consommation matérielle considérée comme raisonnable si l’on suit l’esprit des conclusions du Rapport de 1972 permettent l’affichage de la réussite individuelle partout dans le monde – à l’exception sans doute des quelques petites « sociétés premières » encore présentes sur la planète. Toutes les classes moyennes des pays émergents visent ainsi l’American Way of Life, dont la possession d’un très lourd et très polluant véhicule 4×4 climatisé constitue le symbole contemporain.

Bien sûr, on ne manque pas d’idées pour contrer ce triomphe planétaire du luxe pour les élites et du consumérisme pour les classes moyennes. Cependant, ces idées resteront impuissantes tant que deux situations ne se réaliseront pas : une conversion politique forcée des élites et des classes moyennes à la « sobriété », ou une conversion spontanée.

Par conversion politique forcée, j’entends toutes les situations où les gouvernants d’un pays seraient amenés à ramener toutes les consommations matérielles de la population à une norme commune pour permettre la mobilisation générale contre une menace imminente. Les seuls exemples que l’on connaisse de gouvernants faisant de tels choix, contraignant la consommation des élites et des classes moyennes, tout en maintenant la consommation des classes populaires, correspondent à ceux des économies de guerre lors des deux Guerres mondiales du XXème siècle. Cela suppose donc pour que les gouvernants en arrivent à ce genre de décisions drastiques un danger clair et sans ambiguïté portant sur la survie même de l’État et une nécessité de mobiliser toute la société pour vaincre.

De fait ces mesures de contraintes de la consommation matérielle des élites et des classes moyennes, souvent accompagnées d’une fiscalité très forte sur les plus riches, ont été mises en place pour la durée limitée d’une guerre (Piketty, 2013). Or l’on peut constater des situations où l’effort de mobilisation subsiste pendant des décennies, mais où, de ce fait, les gouvernants et leurs soutiens immédiats (forces de sécurité par exemple) se préservent des restrictions de consommation dont pâtit la population ordinaire. Le cas de l’Union soviétique et de sa nomenklatura2 devrait rester en mémoire de ceux qui se laissent aller à croire que des gouvernants et leurs soutiens immédiats peuvent durablement accepter de ne pas bénéficier d’un haut niveau de vie matériel, dont ils ont connaissance par ailleurs, au nom d’une cause quelconque.

Quoi qu’il en soit, cette baisse du niveau de vie matériel des populations les plus riches supposerait un rapport de force politique qui irait à l’encontre de toute l’évolution de l’économie mondiale depuis les années 1970, et encore plus celle d’après 1989. Largement inspirée par le triomphe du néo-libéralisme dans les esprits des gouvernants, elle a été marquée au contraire par une baisse drastique de la taxation des plus riches et des entreprises multinationales, que ce soit par la baisse des niveaux officiels d’imposition dans les États ou par la multiplication des moyens d’échapper à l’impôt par le biais des « paradis fiscaux ». En prenant le point de vue de la longue durée, l’historien Walter Scheidel (2017) a montré que jamais dans l’histoire les élites n’ont accepté une redistribution massive de la richesse sans y être contraintes par des événements exceptionnels : épidémies, guerres, révolutions, effondrement civilisationnel. De ce point de vue, il est bien plus probable que des mesures de contraintes soient prises dans le cadre d’une politique d’adaptation à des catastrophes déjà là que dans celui d’une politique d’atténuation des mécanismes biophysiques et biologiques menant à ces dernières. Par exemple, face à des pénuries alimentaires menaçant à court terme la survie des habitants d’un État, les gouvernants de ce dernier, à supposer qu’ils trouvent quelque intérêt à la survie de leurs concitoyens3, n’auraient sans doute d’autre choix que d’introduire un rationnement – avec bien sûr toutes les différences à attendre entre pays en fonction de leur régime politique.

La conversion spontanée correspond à ce que semble souhaiter actuellement le Club de Rome ou tous les partisans de la sobriété, de la décroissance, etc. qui en appellent au sens moral ou au sens de la justice de leur auditoire. Or, dans ce cadre, il ne suffit pas d’une modélisation intégrée/globale du monde, aussi aboutie soit-elle, pour aboutir à une telle conversion. Celle-ci ne peut s’opérer que pour des raisons qui tiennent au sens que chacun peut ou veut donner à son existence.

De fait, si l’on se limite à l’histoire occidentale, l’on ne connaît que deux grands moments historiques de conversion des objectifs des élites, celui du passage du paganisme au christianisme à la fin de l’Antiquité, et celui du christianisme à la réussite matérielle telle que nous la connaissons à la fin du Moyen Age.

En effet, à la fin de l’Empire romain, les historiens constatent que les élites de l’époque, y compris les élites sénatoriales, changent leurs objectifs. Le paganisme et les philosophies hellénistiques (stoïcisme, épicurisme, etc.) ne leur suffisent plus, et elles se convertissent au christianisme. Dans ce cadre, les visées ultra-mondaines de l’individu deviennent prioritaires et dominantes pour la partie la plus élitaire des élites, et elles influencent le reste de la société. Cette priorité du spirituel – du sort de l’âme individuelle après la mort du corps – n’empêche cependant pas la recherche de la richesse matérielle ou de la puissance, ni l’accumulation de biens matériels par l’Église, mais elle va dominer l’histoire occidentale des élites pendant près d’un millénaire.

La deuxième réorientation dont nous ayons connaissance est celle qui résulte de la Réforme et des Guerres de religion. Face à l’éclatement de la chrétienté et aux conflits qui en résultent, la priorité n’est bientôt plus spirituelle, mais elle est mise sur l’enrichissement matériel. Ce virage matérialiste dans les objectifs des élites a donné lieu au capitalisme, a été théorisé par le libéralisme, a été contesté par les héritiers du christianisme médiéval, a été sommé par le socialisme et le communisme de partager ce bien-être matériel avec tous, mais, à ce jour, il reste le fondement de leur action, à la fois pour eux-mêmes et pour la société qu’ils dirigent.

De ce point de vue, une modélisation telle que celle proposée au Club de Rome par l’équipe du MIT en 1972 qui pointe les limites matérielles d’une vie humaine consacrée au consumérisme ne peut pas être l’élément déclencheur d’une conversion. Elle ne peut au mieux que confirmer les personnes dans leurs convictions les plus profondes : soit l’on est convaincu que la vie humaine n’est qu’une occasion d’une multiplication des plaisirs obtenus par la consommation et qu’elle ne vaut que par la place qu’on y tient dans l’ordre hiérarchique des êtres humains matérialisé par le niveau de consommation visible de chacun, et alors le Rapport est anathème ; soit inversement la vie humaine réalisée pleinement se situe sur un autre plan, spirituel, culturel, artistique, intellectuel, scientifique, et alors le Rapport confirme certaines intuitions, qui ne sont au fond que celles de toutes les sagesses traditionnelles4. Aucune d’entre elles n’a prôné en effet la démesure.

En conclusion, on ne sera pas étonné alors de constater que la raison principale de l’échec du Rapport de 1972 et de ses successeurs à influer le cours du réel depuis lors doive être identifié dans le triomphe du « Enrichissez-vous ! » planétaire qu’a représenté la domination intellectuelle du néo-libéralisme sur les élites de la plupart des pays. Il est difficile de croire que, sauf à y être forcées, ces mêmes élites abandonnent cet immense appareil/apparat matériel dont elles se sont dotées pour jouir sans entraves et signaler leur importance aux autres êtres humains.

La conversion des élites et du modèle d’existence qu’elles proposent au reste de la société mondiale à la « sobriété » supposerait sans doute aussi un déplacement de la compétition pour la prééminence hiérarchique sur un plan plus spirituel. On peut comprendre, vu la capacité des spiritualités à engendrer des conflits sans solution, que cette conversion puisse aussi inquiéter nombreux de nos contemporains.

Bibliographie

Bardi, Ugo, et Carlos Alvarez Pereira, éd. Limits and Beyond: 50 Years on from The Limits to Growth, What Did We Learn and What’s next? A Report to the Club of Rome. Londres.: Exapt Press, 2022.

Chamayou, Grégoire. La Société ingouvernable : Une généalogie du libéralisme autoritaire. Paris : La Fabrique, 2018.

Crozier, Michel, Samuel Phillips Huntington, et Jôji Watanuki. The crisis of democracy: report on the governability of democracies to the Trilateral commission. New York (N.Y.), Etats-Unis d’Amérique: New York university press, 1975.

Dixson-Declève, Sandrine, Owen Gaffney, Jayati Ghosh, Jørgen Randers, Johan Rockström, et Per Espen Stoknes. Earth for all: a survival guide for humanity: a report to the Club of Rome (2022), fifty years after The limits of growth (1972). Gabriola Island, British Columbia, Canada: New Society Publishers, 2022.

IPCC, 2022: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [P.R. Shukla, J. Skea, R. Slade, A. Al Khourdajie, R. van Diemen, D. McCollum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belkacemi, A. Hasija, G. Lisboa, S. Luz, J. Malley, (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA. doi: 10.1017/9781009157926.001.

Piketty, Thomas. Le capital au XXIe siècle. Les livres du nouveau monde. Paris: Éditions du Seuil, 2013.

Scheidel, Walter. The Great Leveler: Violence and the History of Inequality from the Stone Age to the Twenty-First Century. First paperback printing. The Princeton Economic History of the Western World. Princeton Oxford: Princeton University Press, 2018.

Vogel, Jefim, Julia K. Steinberger, Daniel W. O’Neill, William F. Lamb, et Jaya Krishnakumar. « Socio-Economic Conditions for Satisfying Human Needs at Low Energy Use: An International Analysis of Social Provisioning ». Global Environmental Change 69 (1 juillet 2021): 102287. https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102287.

1 General Agreement on Tariffs and Trade.

2 Ce terme correspond à la liste qui existait alors des personnes autorisées à consommer plus par des circuits spécifiques de mise à disposition de biens de consommation (en particulier, importés de l’Ouest capitaliste).

3 Est-il besoin d’insister sur le fait bien connu que les famines contemporaines sont toujours un choix politique ?

4 Celles qui commencent à apparaitre dans toute l’Eurasie vers moins 500 avant notre ère pendant ce que le philosophe allemand Karl Jaspers a nommé l’ « âge axial », c’est-à-dire l’âge des valeurs morales.